Avant et depuis toujours, tu venais souvent... Et
Avant et depuis toujours, tu venais souvent... Et puis le jour du lendemain, t'es plus revenue. Et puis tu as laissé passer les mois, puis les années...
Et puis comme ça un matin, tu t'es (enfin) décidée pour une escale sur l'île du Ponant la plus au sud, au coeur de l'archipel charentais.
C'était un jour blanc.
Contrairement aux deux autres, Aix est la seule île de tes côtes à avoir conservé son insularité (l'île Madame se rejoint à pied). T'étais contente que "Pierrot" vienne te chercher, tu ne connais plus que lui maintenant...
En débarquant, tu as laissé les quatre autres passagers s'éloigner, jusqu'à ce qu'ils disparaissent avec leurs charrettes surchargées par la première porte. Les charrettes... Elles sont indispensables sur l'île.
Après toutes ces années d'absence, tu as pris le temps de prolonger l'instant. Et puis tu t'es dirigée en direction du sud pour rejoindre l'ouest. Tu as contourné le fort de la Rade. Les douves, la Pointe Sainte Catherine tout ça...
Tu avais pris l'habitude de l'observer de tes rives par temps clair, du large aussi. Le phare à deux tours, unique sur la côte atlantique. Il en existe un autre en Corse, mais ta chauvinerie chronique t'oblige à préciser que le "tien" est plus beau.
Tu t'es récitée la leçon des tours jumelles (qui ont 45 ans d'écart) sans aucune révision... Feu à secteurs, 24 milles, hauts fonds de Boyard, rochers d'Antioche, estuaire de Rochefort et tralala.
Plage de l'anse de la Croix... Tes pieds sont déjà mouillés... Tu t'en fous mais tu penses aux bottes de pluie que ta mère t'as offert en juillet, juste avant ton départ en Écosse. Tu n'oses pas encore lui avouer que tu vas partir en Irlande...toute seule. Tu aimes beaucoup ta mère mais tu es de la même "race" que ton père...
"Les plus belles promesses, même si elles finissent par devenir poussières de souvenir, ne passent jamais le sablier du temps" Maxence Fermine
Passage de la porte du même nom que la plage... Un point de repère dans ta conscience.
Tu te sens merveilleusement bien sur ton île déserte. Tu t'obstines à vider ton sac à la recherche d'une clope. T'as juste un briquet, TOUS tes tickets de ferry, tes caillasses, tes clefs de voiture, ton sablier, du fric, ton permis de conduire, ton téléphone, ta carte bleue, deux toupies, ta princesse playmobil, un tampon tout écrabouillé, un carnet à spirales écorné, une crème protectrice bio mains/lèvres, presque 50cl de Volvic, un foulard étoilé, cinq crayons, une lampe frontale, une pochette "bobos", des Kleenex, un livre sans personne, les horaires du bac, des bonbons, du sable, des miettes, deux vieux mégots aplatis... Pas de clope et finalement tant pis, tant mieux. C'est de la merde et tu le sais.
Tu as parlé avec cette aigrette garzette qui s'en tapait grave de ce que tu lui disais. Elle est restée seulement parce que tu respectais ses limites de sécurité. Tu n'y peux rien, les oiseaux craignent les humains. Toi aussi parfois...
Plus loin, sur la Grande Plage, une colonie de bernaches... Fort Boyard dans la brume, derrière Oléron, rives de Boyardville, des Saumonards.
Il y a des oiseaux partout, goélands, mouettes, bécasseaux, pluviers, huîtriers ainsi que ceux dont tu ignores ou inventes le nom... Tous des petits mignons.
Tu te sens toute sereine, si légère... T'as pas mangé, t'as pas faim. C'est l'hiver mais t'as pas froid avec ton bonnet et ton écharpe toute douce dont les tons s'accordents parfaitement avec l'atmopshere brumeuse. Tu marches en équilibre sur les rives de ton bord du monde retrouvé, l'esprit libre et rien ne perturbe ton Carpe Diem...
Près de la Pointe du Parc, tu as fait super gaffe...en risquant ta vie. Tu peux pas t'en empêcher hein? Tu verras bien un jour, tu pourras pas dire que tu t'es pas prévenue.
Tu as beaucoup marché sans faire le tour de l'île. Tu n'es pas allée jusqu'à Baby plage. Tu es restée sur la côte ouest. L'heure s'est brusquement rappelée à toi, t'as vachement flippé de rater le dernier bac... Heureusement que tu as pris le temps de vérifier les horaires sans t'arrêter de courir pour constater que tu t'étais plantée d'une demie heure. C'est souvent que tu paniques pour rien... T'es grave et le pire c'est que tu le sais.
Alors tu as flâné jusqu'au port... Tu as écouté les jacasseries des pies aux sommets des grands pins, tu t'es compliquée l'existence en escaladant des remparts, ton sourire a croisé le regard d'un vieil humain... A la croisée des chemins, tu as tourné les talons à celui menant au bourg. Tu reviendras, le temps est devant toi.
Quai de l'Acadie désert quinze minutes avant l'heure du dernier embarquement, tu reconsultes les horaires douteuses. Alors tu sais pas, plus et "au cas où" tu envisages des solutions pour les perdus comme toi. Tu penses que l'adulte va jamais croire que tu l'as pas fait exprès... Tu t'en fous, t'as bien plus envie de rire que de pleurer. C'est loin d'être ton premier bateau loupé, tu espères vraiment être loin du dernier.
T'es pas si mal là, à te geler le cul sur un banc de pierre de ce port désert...
Finalement, le bac arrive, pas pressé d'être en retard... Six personnes débarquent, tu te crois la seule passagère retour jusqu'à ce qu'un gars arrive juste à temps. Tu t'es dit qu'il était peut être comme toi, il t'a rendu ton petit sourire qui demandait surtout rien d'autre. Il est resté dehors et tu t'es assise à ta place, comme à l'aller.
Tu t'es réchauffée avec un café dégueu, tu as grignoté une cochonnerie... Tu as fermé tes yeux sans sommeil, satisfaite de ta dernière virée solitaire de l'année, persuadée de ton retour en janvier.
Et je suis rentrée, voie de gauche, musique à fond, chauffage au max direction ma maison de Noël exagérément illuminée à l'interieur seulement. Retour de cette île vers ma vie à prendre comme elle vient...
L'année 2016 se termine, j'en suis ravie, étrangement soulagée aussi. Mon bilan annuel de l'année précédente était déplorable mais je ne vais pas revenir dessus. On va dire que cette année, j'en ai drôlement chier pour remonter ma moyenne! Et qu'importe les détours de mes petits pas, aucun d'eux ne m'a mené nulle part. Ma route est encore longue et je ne cesserai sûrement jamais de cheminer, mais je me sais assez loin pour ne plus avoir besoin de fuir.
Joyeuses fêtes dans ce monde qui fait peur... Que la joie vous protège... ;)